Les lasers permettent une dorsale Internet par satellite

juillet 2023

Les lasers de communication de données optiques peuvent transmettre plusieurs dizaines de térabits par seconde malgré de nombreuses turbulences aériennes perturbatrices. C'est ce qu'ont démontré des scientifiques de l'ETH Zurich en collaboration avec des partenaires européens entre le Jungfraujoch et Berne. La construction coûteuse de câbles sous-marins ne devrait donc bientôt plus être nécessaire.

L’épine dorsale d’Internet est constituée d’un réseau dense de câbles en fibre optique, qui transportent chacun jusqu’à plus de cent térabits de données par seconde (1 térabit = 1012 signaux numériques 1/0) entre les nœuds du réseau. Les continents sont ainsi reliés par les eaux profondes, ce qui est extrêmement coûteux : un seul câble à travers l’Atlantique nécessite un investissement de plusieurs centaines de millions de dollars. La société de conseil spécialisée Telegeography compte actuellement 530 câbles sous-marins actifs. La tendance est à la hausse.

Mais bientôt, cette dépense ne devrait plus être nécessaire. Dans le cadre d’un projet européen Horizon 2020, des scientifiques de l’ETH Zurich ont fait la démonstration, en collaboration avec des partenaires de l’industrie spatiale, d’une transmission optique de données à un térabit par voie aérienne. Cette technologie permettra à l’avenir d’établir des liaisons dorsales beaucoup moins coûteuses et beaucoup plus rapides via des constellations de satellites proches de la Terre.

Des conditions exigeantes entre le Jungfraujoch et Berne
Les partenaires du projet n’ont toutefois pas testé leur système laser avec un satellite en orbite, mais par une transmission sur 53 kilomètres entre le Jungfraujoch et Berne. « Notre trajet d’essai entre la station de recherche alpine du Jungfraujoch et l’observatoire de Zimmerwald de l’université de Berne est beaucoup plus exigeant du point de vue de la transmission optique des données qu’entre un satellite et une station terrestre », explique Yannik Horst, auteur principal de l’étude et chercheur à l’ETH Zurich à l’Institut des champs électromagnétiques dirigé par le professeur Jürg Leuthold.

Le faisceau laser a dû se déplacer tout au long de son trajet à travers l’atmosphère dense et proche du sol. Les multiples turbulences des gaz atmosphériques au-dessus des hautes montagnes enneigées, de la surface du lac de Thoune, de l’agglomération densément construite de Thoune et de la plaine de l’Aar ont influencé le mouvement des ondes lumineuses et donc la transmission des informations. Lors des chaudes journées d’été, on peut voir à l’œil nu à quel point ce scintillement de l’air provoqué par des phénomènes thermiques perturbe le mouvement régulier de la lumière.

L’Internet par satellite utilise des micro-ondes lentes
Les connexions Internet par satellite ne sont pas nouvelles en soi. Le représentant le plus connu actuellement est la constellation Starlink d’Elon Musk, qui apporte Internet dans presque tous les coins du monde grâce à plus de 2000 satellites en orbite autour de la Terre. Pour transmettre des données entre les satellites et les stations terrestres, on utilise toutefois des technologies radio beaucoup moins performantes. Comme le WLAN (Wireless Local Area Network) ou la téléphonie mobile, elles fonctionnent dans la partie micro-ondes du spectre de fréquences et donc avec des battements d’ondes de quelques centimètres.

En revanche, les systèmes laser optiques fonctionnent dans le domaine de la lumière infrarouge proche avec des longueurs d’onde environ 10 000 fois plus courtes, de quelques micromètres. Ils peuvent ainsi transporter davantage d’informations par unité de temps.

Pour obtenir un signal suffisamment fort au niveau du récepteur sur de grandes distances, les ondes lumineuses parallélisées du laser sont envoyées à travers un télescope dont le diamètre peut atteindre plusieurs dizaines de centimètres. Ce large faisceau lumineux doit ensuite être dirigé le plus précisément possible vers un télescope du récepteur dont le diamètre est du même ordre de grandeur que celui du faisceau lumineux reçu.

Les turbulences effacent les signaux modulés
Afin d’atteindre les taux de données les plus élevés possibles, l’onde lumineuse du laser est également modulée de manière à ce qu’un récepteur puisse détecter plusieurs états distincts par oscillation. Cela permet de transmettre plus d’un bit d’information par oscillation. Dans la pratique, on travaille avec différentes hauteurs (amplitudes) et différents décalages de l’angle de phase de l’onde lumineuse. Chaque combinaison d’angle de phase et de hauteur d’amplitude définit alors un symbole d’information différent. Un schéma 4×4 permet ainsi de transmettre 4 bits par oscillation et un schéma 8×8 6 bits.

Les turbulences changeantes des particules d’air font alors que les ondes lumineuses se déplacent à des vitesses différentes à l’intérieur et sur les bords du cône de lumière. Dans le détecteur de la station de réception, les amplitudes et les angles de phase s’ajoutent ou se soustraient ainsi mutuellement pour donner des valeurs erronées.

Les miroirs corrigent la phase de l’onde 1500 fois par seconde
Pour éviter ces erreurs, le partenaire français du projet a fourni une puce MEMS (Micro-Electro-Mechanical System) avec une matrice de 97 miroirs mobiles. Grâce aux mouvements des miroirs, le déphasage du faisceau sur sa surface de coupe peut être corrigé 1500 fois par seconde le long du gradient actuellement mesuré.

Cette amélioration était essentielle pour atteindre une bande passante de 1 térabit par seconde sur une distance de 53 kilomètres, comme le souligne Horst.

De nouveaux formats robustes de modulation de la lumière ont également été utilisés pour la première fois dans le projet. Ils augmentent considérablement la sensibilité de la détection et permettent ainsi d’atteindre des débits de données élevés même dans les pires conditions météorologiques ou avec de faibles puissances laser. Cela est possible grâce à un codage habile des bits d’information sur les propriétés de l’onde lumineuse telles que l’amplitude, la phase et la polarisation. « Avec notre nouveau format de modulation 4D-BPSK (Binary Phase-Shift Keying), un bit d’information peut encore être correctement reconnu par le récepteur, même avec un très petit nombre de particules lumineuses, environ quatre seulement », explique Horst.

Au total, les compétences spécifiques de trois partenaires ont été nécessaires à la réussite du projet. L’entreprise spatiale française Thales Alenia Space maîtrise le ciblage au centimètre près avec des lasers à des milliers de kilomètres dans l’espace. L’Onera, institut de recherche aérospatiale également français, dispose des compétences en optique adaptative basée sur les MEMS, qui ont permis d’éliminer en grande partie les effets du scintillement de l’air. Et la modulation des signaux, indispensable pour obtenir un débit de données élevé et aussi efficace que possible, fait partie des spécialités du groupe de recherche de Leuthold.

Extensible sans problème à 40 térabits par seconde
Les résultats de l’essai, présentés pour la première fois dans le cadre de l’European Conference on Optical Communication (ECOC) à Bâle, font fureur dans le monde entier, selon Leuthold : « Notre système représente une percée. Jusqu’à présent, on ne parvenait à relier par laser à l’air libre soit de grandes distances avec de petites largeurs de bande de quelques gigabits, soit de courtes distances de quelques mètres avec de grandes largeurs de bande ».

De plus, la performance d’un térabit par seconde a été atteinte avec une seule longueur d’onde. Dans une future application pratique, le système peut facilement être mis à l’échelle avec des technologies standard pour atteindre 40 canaux et donc 40 térabits par seconde.

Potentiel supplémentaire pour le nouveau format de modulation
Mais Leuthold et son équipe ne s’y attarderont pas davantage. Ce sont les partenaires industriels qui se chargeront de la mise en œuvre pratique dans un produit commercialisable. Les scientifiques de l’ETH poursuivront toutefois une partie de leur travail. Le nouveau format de modulation qu’ils ont développé devrait à l’avenir permettre d’augmenter la largeur de bande dans d’autres processus de transmission de données où l’énergie du rayonnement peut devenir un facteur limitant.

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